La
Légende de Persine et Mélusine
Tradition Vendéenne
(source en cliquant sur le titre)
"Si vous essayez de voir une fée
En plein jour
En pleine lumière
En plein midi...
Ça marchera pas !
Les fées
On les surprend parfois à l’aube
Entre deux lumières
émergeant de la brume
Ou sous la lune pleine"
(Yannick Jaulin - Mélusine)
Elinas, roi d’Ecosse, a semé ses suivants au cours d’une partie
de chasse. Il est maintenant seul, sur son cheval, au beau milieu de la
forêt, gouttant à une tranquillité qui lui est assez
peu familière. Il finit par déboucher dans une grande clairière
au milieu de laquelle se trouve une fontaine. La fée Persine, reine
des fées d’Ecosse, s’y baigne. Elle n’entend pas le roi s’approcher,
sans doute trompée par les éclats de la chasse qui se perdent
dans le lointain. Elle est d’abord surprise, puis elle reconnait le roi
qui reste interdit, bras ballants, devant une telle apparition...
Le roi, en un clin d’œil, des sommets du pouvoir, des cimes de la richesse,
tout roi qu’il est, le roi Elinas d’Ecosse tombe... en amour.
La fée est sortie de la fontaine et se tient devant lui, magnifique
et élancée, entièrement nue... Et le cœur d’Elinas
bat la chamade, galope même !
Le cœur du roi se rend à cette femme qui semble si fragile
A cette reine de l’autre monde...
- Je m’appelle Persine, lui dit la fée. Je suis reine de mon
peuple et nos deux destins sont désormais intimement entremélés.
Je sais lire les signes et déchiffrer les coeurs, sans jamais me
tromper... Et c’est là mon pouvoir ! Nous allons nous marier, ô
roi... Mais avant tu dois me promettre, que jamais tu ne chercheras à
me voir du temps de mes couches.
Ainsi parle la fée, et le roi fait le serment attendu.
Les épousailles sont bientôt célébrées
et le bonheur régne sur le pays. De leur union naissent trois filles
: Mélusine, Mélior et Palestine. Il sont heureux...
Un temps...
Mais le bonheur, ça ne peut que se flétrir. Comme une
fleur.
Mataquas, le fils maudit, premier né du roi, d’un premier mariage.
Mataquas le jaloux, le fourbe... Mataquas pue-la-haine !
- Pourquoi donc, mon noble père, mon puissant roi, pourquoi
cet interdit ? Il y a là-dessous, à n’en point douter, quelque
mystère qu’on cherche à vous cacher, quelque trahison sur
laquelle on ne voudrait pas que vous portiez les yeux, de peur de votre
juste courroux. Ne point la voir du temps de ses couches... Vous êtes
en votre royaume ! C’est vous qui commandez !
Le roi est noble et fier, alors au tout début, il refuse d’écouter
les paroles de son fils. Manquer à sa promesse, il n’en est pas
question une seule seconde...
Mais deux secondes, déjà, c’est bien plus long...
Et les jours
Les mois
Et le venin qui coule intarissable...
Le venin
Qui coule
Intarissable
Le roi est noble et fier, alors il finit par douter. Les démons
le tourmentent et lui, seul, il résiste. Mais des démons,
on en a toujours à ne plus savoir qu’en faire...
Elinas, roi d’Ecosse, car il est noble et fier, entre dans la chambre
où Persine baigne ses trois petites.
Persine pousse un hurlement, et au dessus du bruit des larmes de ses
filles, désespérée elle lance à Elinas :
- Tu m’as trahie et nos cœurs se déchirent ! Désormais,
et par ta faute, je suis perdue pour toi !
Sans un adieu, ni un dernier regard, elle s’envole en fumée
avec ses enfants enveloppés dans une serviette rouge. La baignoire
est vide, l’eau s’est évaporée, et l’on raconte qu’Elinas
effondré l’a remplie de ses larmes.
Persine s’en est allée dans l’île enchantée d’Avallon.
Elle y élève ses filles pendant quinze ans. Et chaque matin,
un peu avant le jour, elle conduit Mélusine, Mélior et Palestine
au sommet de la montagne Fleurie d’Eléonos. De là, elles
contemplent le lever du soleil sur les rivages d’Ecosse que l’on devine
au loin.
- Voyez, mes filles, c’est là que nous aurions dû vivre,
heureuses, si votre père n’avait pas manqué à sa parole.
La joie aurait été notre quotidien alors que désormais
nous sommes condamnées à cette misérable condition...
L’amertume, la nostalgie hantent le cœur de Persine qui ressasse sans
arrêt le récit de sa tragique épopée.
Un jour, l’aînée, Mélusine, réunit ses deux
sœurs en secret pour les entretenir d’un plan :
- Pendant ce temps qui est passé, j’ai bien réfléchi...
Tout est la faute d’Elinas, notre père. Nous sommes maintenant versées
dans les sciences magiques... Il serait juste qu’il paie encore plus durement
le tourment dans lequel il nous a plongé.
Il serait juste
Qu’il paie
Encore plus durement
Le tourment dans lequel il nous a plongé !
Les sœurs acquiescent ; le roi d’Ecosse se retrouve enfermé
dans la montagne de Northumberland, que l’on appelle encore Brumblerio.
A tout jamais...
Enfermé !
Il serait juste
Qu’il paie
Encore plus durement
Le tourment dans lequel il nous a plongé !
Les enfants sont cruels...
- Misérable filles ! leur dit leur mère quand elle apprend
la nouvelle. Qui êtes-vous pour oser juger le destin ? Qui croyez-vous
être pour vous substituer à son bras vengeur ? Qui pensiez-vous
ainsi châtier ? Vous n’avez plus votre place sur l’île enchantée
d’Avallon et nous devons ce jour nous séparer pour ne plus nous
revoir.
Elle s’adresse alors plus particulièrement à Mélusine
:
- Quant à toi, qui est la plus savante, toi par qui tout est
arrivé, écoute maintenant quel est ton châtiment. Tu
seras désormais, chaque samedi, Serpente du nombril jusqu’aux pieds.
Si jamais tu viens à te marier, ton mari ne devra jamais te voir
sous cet aspect ni connaître ton lourd secret. A cette condition
tu vivras et mourras comme une femme, sinon tu connaîtras la solitude
et les tourments sans fin ! Mais quoiqu’il en soit tu seras la source d’une
noble et courageuse descendance qui commettra de hauts faits.
Adieu, ma première fille, et ne reviens jamais...
Les trois sœurs se sont séparées ; Persine, quant à
elle, est restée en Avallon, toute seule avec ses souvenirs et son
chagrin.
Mélior deviendra reine des étoiles filantes et Palestine
princesse des cygnes blancs. Mais ce sont là d’autres histoires...
La jeune Mélusine va par les chemins, elle arrive en terre de
France et erre dans les forêts du Poitou. Au fil du temps, son cœur
s’apaise et une belle nuit, elle lit dans les étoiles qu’elle est
désormais capable d’aimer. Alors, comme le soleil se lève,
du plus profond d’elle jaillit un rire pur et cristallin...
Et le temps passe encore et une belle nuit, elle lit dans les étoiles
que désormais elle pourra elle aussi être aimée. Elle
se rend alors à la fontaine de Sé, au milieu de la forêt
de Colombiers. Là, elle quitte sa robe et entre dans l’eau claire
pour s’y baigner au clair de la lune.
Cette même nuit, le jeune Raymondin galope dans la forêt
. Droit devant lui, il ne fait rien pour éviter les branchages qui
viennent lui déchirer le visage. Il a mal, la douleur le déchire
car la fatalité a fait de lui un meurtrier. En effet, lors d’un
terrible accident de chasse il a ôté la vie à son oncle
Aimeri, le comte du Poitou.
Il galope pour oublier.
Si seulement il pouvait oublier !
Il galope sur sa monture hors d’haleine qui l’accompagne au bout de
la folie...
La chevauchée maudite débouche dans une clairière
où soudainement le cheval se met au pas. Raymondin pose pied à
terre... et il s’approche de la fontaine, comme hypnotisé.
- Je t’attendais, lui dit la fée. Il n’y a pas de mots qui puissent
te consoler, pas d’actes qui puissent revenir contre le temps passé.
C’est le destin, nous devons y faire face car c’est le lot de toute créature
qui pense et qui respire au monde.
Et Raymondin, en un clin d’œil, des profondeurs de la folie, des abîmes
du désespoir, là où l’obscurité est si opaque
que l’on s’y prend les pieds et que l’on tombe encore plus bas, et que
l’on se relève pour tomber encore, et bien Raymondin est illuminé...
par l’amour.
- Il faisait froid, dit-il. Mais cette étrange chaleur tout
d’un coup... C’est vous ?
- Mais non, c’est toi !
- ...
- Je m’appelle Mélusine. Je vais t’accompagner et nous allons
nous marier, Raymondin. Mais avant, tu dois promettre, tu dois me jurer
que jamais que tu ne chercheras à me voir le samedi. A cette seule
condition nous serons heureux.
Et Raymondin fait le serment attendu.
Mélusine lui conseille de retourner à la cour du nouveau
comte du Poitou et de lui dire toute la vérité sur l’accident
de chasse. Raymondin écoute son conseil, on lui pardonne, et il
obtient même pour son mariage le fief de Lusignan.
Peut-être la fée a-t-elle tiré magiquement dans
l’ombre les ficelles du destin en faveur de Raymondin... Qu’importe, les
premières démonstrations au grand jour de ses pouvoirs sont
spectaculaires : la nuit précédent les noces, elle bâtit
une chapelle où a lieu la cérémonie et la forteresse
de Lusignan dans laquelle le jeune couple s’installe.
Le bonheur est là, le pays est prospère.
Chaque nuit, Mélusine fait construire des châteaux, des
abbayes et des chapelles, au petit peuple de la terre. Gnomes, lutins,
farfadets, korrigans, à son service, de quelques pierres et d’un
peu d’eau érigent les tours, clochers, dressent vers le ciel édifices
et villes entières avant que le soleil ne reprenne sa course. Vouvant,
Mervent, les forteresses de Tiffauge, Talmont et Partenay, la tour de Saint-Maixent,
les tours de garde de La Rochelle et de Niort, l’église de Saint-Paul-en-Gâtine,
et bien d’autres... Toutes ont eut le même architecte : Mélusine.
Et si un curieux surprend la bâtisseuse au travail, elle s’arrête
et laisse le chantier en l’état. C’est pour cette raison qu’il manque
une fenêtre à Merrigoute ou la dernière pierre de la
flèche de l’église de Parthenay.
Personne ne s’étonne ! Comme si c’était normal...
Parfois aussi on entend son rire enfantin qui soulage les peines les
plus lourdes à porter.
L’amour qu’elle partage avec Raymondin est sans faille, limpide comme
l’eau de la fontaine de Sé. Elle lui donne dix fils !
Dix enfants bien étranges... Bizarres comme on dit...
Antoine porte à sa joue une griffe de lion, Guion a un œil plus
haut que l’autre, Geoffroy avec sa dent de plus d’un pouce, Urian avec
un œil rouge et l’autre pers, Oron aux oreilles phosphorescentes semblables
à celles d’un chien, Froimond gros nez, Thierry l’homme-singe, Raymond
qui est transparent, Armand haut-comme-trois-pommes, et Renon le plus grand
mais dont la langue traîne par terre.
La famille est riche, alors on ne pose pas trop de questions...
Mais tout de même
A bien y regarder
Quand on réfléchit un peu
Ça saute aux yeux !
C’est pas normal !
Pas normal...
Combien de Mataquas pourrissent le monde ? Combien de vipères...
Raymondin a un frère, le conte Forez.
- Ecoute-moi, mon frère, c’est le soucis de ton honneur et de
ton renom qui a guidé mes pas. Ton bonheur seul m’importe et tu
sais bien que je sacrifierais tout ce qui m’appartient pour toi. Ecoute-moi,
mon frère, on jase en ville. Tes enfants, ta femme qui se cache
une fois par semaine... M’est avis qu’elle pratique le coït, l’accorte
bougresse, avec le démon !
Raymondin est noble et fier, alors au tout début, il refuse
d’écouter les paroles de son frère. Manquer à sa promesse,
trahir la confiance, il n’en est pas question une seule seconde...
Mais deux secondes...
Le venin, distillé, purifié, corrosif, coule...
On jase en ville...
Tes enfants...
Ta femme...
L’accorte bougresse...
M’est avis qu’elle pratique le coït !
Raymondin est noble et fier, alors il finit par douter. Sa confiance
s’effrite. Un samedi, rongé jusqu’en son cœur crépitant,
il se rend devant la porte interdite. Avec la pointe de son épée,
il en perce le bois et il peut bientôt voir tout ce qui se trouve
de l’autre coté.
Dans une immense cuve de marbre blanc, sa femme se baigne. Elle peigne
ses longs cheveux, nue de la tête jusqu’au nombril. Dans l’eau trempe
une gigantesque queue de serpent qui claque de temps à autres et
projette des éclaboussures jusqu'à la voûte de la chambre.
- Trahison ! hurle Mélusine. Nous sommes, mon amour, tous deux
damnés ! Toi parce que tu me perds à tout jamais et moi car
je retourne au monde des esprits errants et sans abris !
Et elle disparaît par la fenêtre, comme une tornade, en
poussant une longue plainte.
On prétend qu’elle n’abandonna pas ses enfants pour autant,
et qu’elle revint régulièrement la nuit s’occuper d’eux,
jusqu'à ce qu’ils fussent en âge de se passer d’elle. Ils
grandirent, et selon la prophétie de Persine, donnèrent naissance
à d’illustres lignées.
Trois mois avant la mort de Raymondin, qui s’était fait ermite
à Montserrat, Mélusine apparut à chacun d’eux ; vision
d’une femme tourmentée et gémissante, tournoyant seule en
peine dans le ciel. De nos jours, on l’aperçoit encore lorsqu’une
forteresse de la famille est vendue, ou bien encore lorsqu’un des héritiers
de ses fils est proche du trépas.
Âme damnée, âme perdue, âme en peine...
Mélusine, la fée rieuse, la fée bâtisseuse.
Mélusine la fée amoureuse.
Plus je dirai et plus je mentirai.
Le récit de la fête est déjà la moitié
de la fête
Un mot dit à l’oreille est parfois entendu de loin
On gagne toujours à taire ce qu’on n’est pas obligé de
dire
Méfiez-vous des histoires...